Claude Duneton


Claude a écrit ce beau texte pour la sortie du coffret de six cassettes « 99 chansons et textes » en 1987. Malheureusement, il n’a pas été repris dans la réédition en disques compacts. Le voici donc.

PASTICHE EN MANIÈRE D’HOMMAGE

Il était tard... C’était un soir de la mi – ça n’a pas d’importance – un soir d’amitié entre amis, à un moment qui se situe entre la poire et le taxi du petit matin. En tout cas, c’était entre deux vins, je me souviens – et à Paris j’en suis certain. J’étais venu chez ces amis pour leur dire un petit bonsoir, sept heures plus tôt ou pas très loin, en voisin... Et j’étais entré par la cour où l’on dit les petits bonjours, comme tout le monde – ils n’avaient pas de jardin. Il est très difficile d’entretenir un jardin au sixième étage dans les immeubles parisiens.

Il était donc une heure avancée, celle où jadis les gens guettaient le chant de l’alouette – et ça fait un bail qu’on entend plus parler des ces oiseaux sauvages. C‘était entre deux silences, de ces temps forts où l’on est gravement ému d’être venu, d’être encore là, de comprendre. Entre deux chiens et quatre loups bon sang qu’on est bien chez vous - l’amitié c’est irremplaçable.

Et alors ils ont mis un disque.

C’était pour clore la soirée, pour achever d’un mot gentil nos causeries sur un exemple - comme la chanson de l’étrier. Car il vient toujours un moment où il faut s’en aller, si on peut.

C’est à ce moment-là que je me suis mis à pleurer...

Y avait ce type qui chantait – ou peut-être qu’il ne chantait pas... C’était entre deux boissons, entre la chair et le poisson, c’est difficile d’être critique. Il parlait d’un petit garçon attaché à un bout de ficelle - ou alors c’était une boîte en fer-blanc qui s’amusait à faire Bling, Blang, pour le pauvre gosse...

Peut-être qu’elle ne s’amusait pas : elle le tirait bien fort en bas, au trou, comme on meurt en roulant sa bosse. Le petit garçon était laid, il n’avait que ce seul jouet - mais peut-être qu’il ne jouait pas! Que c’était sa vie cette boîte-là. Je me sentais pousser une bosse... C’était une chanson comme ça, entre le bois et l’écorce, un de ces trucs qu’on oublie guère. J’avais les yeux mouillés, les joues – ce type qui chantait pour nous était un fameux poète. Nous restions là tous les trois, eux qui savaient, et moi pas...

Et la maîtresse de maison, qui aime les petits surnoms, qui a des usages – et qui guettait mon émotion a dit, ravie :

-Regarde m’ami, ça l’fait chialer Dunebite!...

C’était la première fois que j’entendais une chanson de Jacques SERIZIER. Y a des coups de microsillons qui vous passent rudement par la tête.

Claude Duneton

Duneton est tout à la fois un historien chantant, un préfacier exaltant, un linguiste passionnant et, selon ses propres aveux, « une truie qui doute »  – et c’est un compliment. Cet homme de plume et de radio rencontra Serizier en 1983 alors qu’il cherchait un interprète pour recréer l’époque des Goguettes.

Il a quitté cette terre en mars 2012.

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