Je suis mort il y a plus d’un mois et on me le dit aujourd’hui. C’est insensé! On aurait pu me prévenir un peu à l’avance! J’aurais dit au revoir. Pas à grand monde, mais j’aurais fait la bise à... non... à...non Bon. Même si je n’avais pas à faire d’adieux émouvants, c’est pas une raison! J’aurais payé mon tiers provisionnel... à tout le moins j’aurais écrit au percepteur pour demander un délai. Insensé. Pour qui il se prend le Gugusse! D’où qu’il tient ses ordres? – " Tu es mort depuis plus d’un mois. Tu passeras ta transition dans ce grenier. Dès qu’une naissance te conviendra tu seras réincarné. Il te faut attendre! " Et hop! plus personne! Attendre, attendre! C’est insensé! Gugusse! (...)

Mais je connais ce grenier... Je connais... Parbleu... C’est mon ancien atelier de chimie... Tout mon attirail est là... J’aurais peut-être pas dû abandonner... J’étais peut-être pas loin de trouver... Enfin... poussière... poussière... Des photos de théâtre... Au locataire d’après moi ça... Si ça se trouve il traîne par là... J’ai horreur du théâtre, monsieur! Horreur! Que de mots! Que de mots! Ah! l’émotion! Parlons-en de l’émotion! C’est mon métier, monsieur, l’émotion. C’est elle qui me fait vivre, et c’est elle qui me fera crever! Mes jouissances, mes plaisirs, d’où croyez-vous qu’ils viennent? ... Et mes chagrins aussi. Et mes peurs. Mes pudeurs... mes timidités! Merde! J’en crève de l’émotion monsieur. J’en crève! La mienne me suffit. Gardez la vôtre. C’est par crainte qu’ils vont vous voir au théâtre. Des voyeurs d’émotions fictives. Tant qu’il vous croie ému, le cher public ne s’émeut guère, lui! Il oublie... ou tente d’oublier ses propres émotions. Ça repose. Ça console. Ça rassure. Vous êtes un truchement, un paravent, un point de suspension... pas même un médicament! Bonjour, monsieur! "

(Inédit. Deux extraits de la pièce à un personnage inachevée, " Le grenier ")